17/09/2004 – Une immense dépression démocratique est en train de se créer au cœur même de la vie politique du continent européen. Les 200 millions d’électeurs qui ont choisi de ne pas aller voter en Juin 2004 en sont l’incarnation. L’Euro a bousculé les certitudes de plus de 350 millions d’Européens. L’Europe est entrée dans leur poche ; et ensuite, très vite dans leur tête, comme une évidence que désormais les décisions échappaient à la sphère nationale.
L’Euro (avec le Marché unique, la BCE, ….) est le fil conducteur qui conduit des dizaines de millions d’Européens à découvrir que leur emploi, leur système social, leur système de santé, la croissance économique de leur pays dépendent désormais essentiellement de décisions européennes communes ; et non plus de tel ou tel parti politique national.
On passe ainsi de 1999 à 2004 d’un abstentionnisme de « désintérêt » pour la construction européenne perçue comme lointaine et sans conséquences pour la vie quotidienne à une proportion importante désormais d’ « abstentionnisme de rejet », non pas de la construction européenne, mais de l’ « offre politique « présentée lors du scrutin pour le Parlement européen.
Habités simultanément par des craintes et des aspirations face à l’UE, les citoyens européens attendent désormais des visions et des projets à l’échelle du continent. Pourtant les classes politiques nationales, comme le système institutionnel communautaire, continuent d’ignorer cette évolution. Et de ce fait, l’abstentionnisme bat de nouveaux records. Les votes-sanctions deviennent la norme dans ces élections nationales au Parlement européen. Les populismes et extrémismes bénéficient mécaniquement de cette situation : l’abstentionnisme leur permet d’obtenir des résultats importants en terme d’élus même s’ils ne représentent que des fractions faibles de l’ensemble du corps électoral ; le décalage entre l’offre politique nationale des partis démocratiques classiques et la nature européenne de l’élection leur offre une opportunité unique d’attirer l’attention des électeurs.
Le sentiment d’exclusion du jeu démocratique communautaire, renforcé par la « balkanisation » du débat politique européen, fragmenté en 25 débats nationaux, conduit les citoyens européens à développer l’idée qu’il va leur falloir choisir entre Europe et Démocratie. En ajoutant les oppositions à une construction européenne jugée trop libérale par certains et affublée de toutes les tares de la globalisation, selon des opinions publiques, l’UE doit désormais affronter deux duels supplémentaires au duel classique Europe/Nations : Europe/Démocratie et Europe/Social.
Cette situation entraîne une implosion des élites pro-européennes nationales qui face à ce triple conflit peuvent de moins en moins politiquement s’identifier pleinement au camp ‘pro-Européen’. Parallèlement au sein de ces mêmes opinions publiques, il déplace les débats hors du champ national et offre des perspectives nouvelles, à savoir des clivages politiques trans-européens qui transcendent les frontières.
On peut donc se demander si ça n’est pas au sein des opinions publiques et de ces clivages politiques trans-européens, et non pas au sein des élites nationales, que l’UE peut trouver le nouveau réservoir de forces vives dont elle a besoin pour se construire demain ? Cette approche transversale des peuples européens indique par ailleurs clairement que le ‘peuple’ européen ne sera certainement pas un ‘peuple d’Etat-nation’ mais s’inscrira dans une logique plurielle. Quelle forme ce ‘peuple’ pourrait-il prendre dans les deux décennies à venir ? Comment organiser une citoyenneté européenne, politiquement active, qui s’accommode de la diversité des peuples de l’UE ? Enfin, comme il n’ y a pas de ‘peuple’ sans élites, d’où viendront les élites qui accompagneront l’émergence de ce ‘peuple européen’.
Franck Biancheri, 17/09/2004
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