L’échec de la récente tentative de donner vie au fameux cycle de Doha marque en effet la fin d’une époque, celle de la globalisation telle qu’on l’a connue ces dernières décennies, conduite au pas de charge par les Etats-Unis, les grandes multinationales et leurs supplétifs comme le Royaume-Uni ou, à un niveau subalterne, certains dirigeants de la Commission européenne (à l’image de Peter Mandelson, Commissaire au Commerce extérieur et de son directeur général, David O’Sullivan).
Derrière les déclarations de Pascal Lamy, et d’autres dirigeants internationaux, envisageant une reprise ultérieure des négociations, après les élections américaines et le changement de Commission européenne, il y a en fait le refus bien compréhensible de reconnaître la fin d’une époque, leur époque! Car l’échec du cycle de Doha sanctionne l’émergence désormais de nouvelles puissances économiques et commerciales qui peuvent dire « non » aux Etats-Unis ou à l’Europe, comme l’Inde ou la Chine.
Et parallèlement, il illustre le refus des Etats-Unis de continuer la globalisation telle qu’elle a été conçue par eux-mêmes au cours des dernières décennies car dorénavant ils s’estiment perdant à ce jeu planétaire. Quelque soit le prochain président des Etats-Unis[1], cette tendance ne fera que se renforcer au cours des prochaines années car les Etats-Unis n’ont plus le choix avec une base industrielle exsangue, une devise en chute libre, un endettement faramineux que le monde ne veut plus assumer (l’après JO de Pekin va donner toute la mesure de l’effondrement en cours), une main d’oeuvre sous-qualifiée, un système social dispendieux et inefficace, un réseau d’infrastructures délabrées et enfin une armée surpuissante dont le coût devient prohibitif. La tentation première des élites américaines de la décennie à venir sera d’essayer de « réparer » le pays autant que possible et de se refermer sur soi, en croyant que cette attitude portera ses fruits. Que cela se fasse à tort ou a raison est une autre histoire. Ce qui est en revanche certain, c’est que la globalisation telle qu’on la connaît n’appartient plus au programme de cette Amérique là, qui va au contraire, suivre la tendance initiée par G.W. Bush et multiplier les accords commerciaux ou de « libre échange » bilatéraux, de préférence avec des « faibles » pour pouvoir imposer ses propres conditions[2].
Nous savons tous que l’UE n’a plus envie non plus de continuer la globalisation « à la papa ». Seuls Mandelson et O’Sullivan semblaient y croire encore. C’est le problème avec les seconds couteaux, leurs maîtres ne les préviennent jamais des changements de stratégie.
Mais, pour l’UE, cette crise profonde du cadre des échanges internationaux, qui constitue une séquence supplémentaire de la crise systémique globale actuelle, peut devenir une opportunité, pour elle-même bien entendu, mais aussi pour l’ensemble de la planète, via la construction d’un nouveau cadre des échanges internationaux, adapté au monde du XXI° siècle.
L’approche inter-régionale que privilégie l’UE constitue en effet le meilleur cadre disponible pour bâtir un système d’échanges internationaux fondé sur l’équilibre des partenariats et une dynamique contrôlée du système d’échanges. C’est à dire l’opposé du système actuel fondé sur des déséquilibres profonds tant en terme de pouvoirs d’influence que de conséquences économiques et sociales de l’évolution des flux d’échanges internationaux.
L’OMC est à ce titre une institution au potentiel intéressant. Critiquée, à juste titre, par les Etats-Unis pour être un « jouet des Européens » qui maîtrisent parfaitement les subtils équilibres transnationaux à l’oeuvre dans l’organisation, l’OMC a constitué une première tentative, certes embryonnaire, de réguler la globalisation. Mais, cette régulation s’est fondée sur la seule logique économico-commerciale, oubliant les dimensions sociales, environnementales, culturelles et démocratiques. Cette organisation peut donc soit poursuivre en vain le rêve de perpétuer la « globalisation de papa », celle qui vient de mourir à Genève, et ainsi creuser sa propre tombe en devevant progressivement une coquille vide, pendant que le monde organisera son commerce en-dehors d’elle. Ou bien, elle peut en douceur entamer sa « longue marche », appuyée par l’UE et d’autres régions volontaires (en Amérique latine – le Mercosur, en Afrique – l’Union africaine, et en Asie- l’Asean) pour refonder l’ordre commercial international sur des accords inter-régionaux, rééquilibrant les termes des échanges et en y intégrant les dimensions sociales, culturelles, environnementales et culturelles.
Pour les 10 à 20 ans à venir, l’UE, première puissance commerciale mondiale, sera potentiellement la seule puissance globale à pouvoir proposer et promouvoir activement ce nouveau système d’échanges internationaux basé sur les régions du monde et non plus les Etats, intégrant d’autres dimensions que seulement économiques et commerciales. Que ce soit la Chine, l’Inde, le Brésil, la Russie ou les Etats-Unis aucune autre puissance ne sera en mesure de proposer une nouvelle architecture internationale crédible en la matière, par manque de savoir-faire, par manque de légitimité ou par manque d’intérêt. L’UE possède le savoir-faire, la légitimité … et elle y a indiscutablement un grand intérêt.
Pourtant, ça n’est pas avec un Parlement européen composé uniquement de partis nationaux, sans aucune vision générale de l’Europe et des intérêts de ses 500 millions de citoyens, que nous pouvons espérer voir relever un tel défi historique, qui implique des changements majeurs de conception, de méthodes et de personnels au sein des institutions de l’UE, Commission en tête.
C’est donc aussi pour cette raison que Newropeans présentera des listes dans différents Etats membres de l’UE aux élections européennes de Juin 2009 … pour pouvoir faire entrer au Parlement européen les intérêts collectifs de tous les Européens, et pour apporter les idées et la dynamique capable de les promouvoir dans le monde et dans les décennies à venir.
Franck Biancheri, 31/07/2008
PDF à télécharger: La globalisation est morte, vive l’inter-régionalisation!
[1] Et l’Obamania des Européens ne changera rien à l’affaire. Le sénateur Obama n’est porteur de rien d’autre que des illusions placées en lui … pour le reste il préconise à peu de choses près la même chose que McCain …. en plus protectionniste! Mais nous y reviendrons dans un autre article.
[2] Comme l’illustrent les violents troubles en Corée du Sud suscités par le projet d’accord de libre échange avec les Etats-Unis.