Tout le monde a conscience que l’année à venir dans l’Union européenne va être une année charnière. Plus ou moins confusément, chacun perçoit que cette année, qui verra pour la première fois dans l’histoire du continent près de 200 millions d’Européens consultés par référendum sur une question identique et décisive pour leur avenir commun, va accoucher de bouleversements majeurs dans la manière dont se fait l’Europe depuis l’après-guerre.
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2005 : l’année de la grande transition européenne: De l’ère institutionnelle de la construction à l’ère politique de la gouvernance
Tout le monde a conscience que l’année à venir dans l’Union européenne va être une année charnière. Plus ou moins confusément, chacun perçoit que cette année qui verra pour la première fois dans l’histoire du continent près de 200 millions d’Européens consultés par référendum sur une question identique et décisive pour leur avenir commun va accoucher de bouleversements majeur s dans la manière dont se fait l’Europe depuis l’après-guerre.
Tout le monde sent qu’après la révolution mentale qu’a constitué l’introduction de l’Euro, le choc représenté par l’élargissement à l’Est et l’impopulaire tentative d’ouverture de négociations d’adhésion avec la Turquie, les peuples sont en train d’accoucher de leur vision de l’avenir de l’Union européenne puisque cette dernière a décidé désormais d’interférer brutalement et profondément dans leur vie quotidienne et avec leur conception de la société. Pour ajouter encore à ce sentiment diffus de changement d’époque, on doit constater que la crise irakienne a consommé une rupture fondamentale entre les opinions publiques européennes et la puissance tutélaire américaine de ces 60 dernières années.
En résumé, partout dans l’Union européenne, des séminaires d’experts aux discussions de « café du commerce » ou de « Bierstube », une tension est désormais palpable autour d’une question centrale : celle de l’avenir de l’UE. Que ce soit parce que l’on pèse les mérites du futur projet de Constitution, parce que l’on refuse la perspective d’une adhésion turque ou parce qu’on s’interroge sur la nature exacte du projet économique, social et politique de l’UE, une chose est certaine, jamais depuis la création d e la Communauté européenne autant de citoyens, d’autant d’Etats ne se sont posés autant de questions sur la construction européenne et son devenir. Ce simple fait devrait mobiliser l’attention de nos décideurs car il est le signe précurseur de changements politiques majeurs. Il est généralement la preuve que les gens ne se satisfont plus des réponses toutes faites apportées par nos élites et nos institutions ; et faute de renouvellement rapide de ces réponses, les évolutions politiques peuvent devenir très vite imprévisibles.
Une chose me frappe en particulier lors des conférences que je fais un peu partout en Europe avec des publics très divers. Il y a encore 4 ou 5 ans, les gens avaient des questions à poser sur l’Europe ; désormais ils ont des opinions et souhaitent les exprimer. Le Marché unique, l’Euro, l’élargissement, la Turquie, la crise irakienne … toutes ces ruptures (et c’est bien ce qu’elles représentent pour la plupart des citoyens, que ce soit dans leur vie quotidienne ou dans leurs visions du monde) ont considérablement accru le degré d’ « expertise européenne » de nos concitoyens ; et surtout elles leur ont donné le sentiment légitime qu’ils avaient désormais un mot à dire . Le traditionnel sentiment d’incompréhension et d’impuissance face à l’ UE est en passe de se transformer en la conviction de savoir où l’UE doit aller et surtout où elle ne doit pas aller), et en la volonté de peser sur les décisions (même si le comment reste encore inconnu).
Certains médias l’ont senti qui accroissent leur couverture des affaires européennes, qui diversifient les points de vue et analyses et s’écartent des approches institutionnelles ou avalisées par elles. Un nombre croissant d’acteurs de terrain, venus de secteurs divers, sont désormais obligés de se sais ir de la question européenne pour répondre aux attentes de leurs membres, militants ou partenaires. D’autant que la technologie est là pour servir une telle évolution : de l’Internet aux compagnies aériennes à bas prix en passant par les TGV, tout concourt désormais à permettre l’implication directe des citoyens dans les affaires européennes.
Cette tendance est particulièrement renforcée par l’arrivée en nombre toujours croissant des générations nées après le Traité de Rome, pour qui l’Europe est une dimension naturelle ; et en particulier par la génération « Erasmus » qui a appris l’Europe avec les autres Européens, sur un mode transnational, et se sentent très à l’étroit dans le carcan national du débat politique. Cette génération, dont les plus vieux app rochent de la quarantaine, est justement en train de « débarquer » massivement dans nos sociétés, porteuse elle aussi de changements quant à la manière de faire l’Europe demain.
En résumé, toutes ces évolutions convergentes font que l’année 2005 va voir l e passage de l’ère de la construction de l’Europe, essentiellement institutionnelle et administrative, à l’ère politique, celle des peuples et de la gouvernance. Les référenda vont en être les catalyseurs. Les vainqueurs de ces référenda seront ceux qui auront su adapter leur stratégie à cette phase de transition, qu’ils prônent le Oui ou bien le Non. Et la question centrale des années qui suivront sera de savoir si cette ère politique sera démocratique ou pas.
Franck Biancheri (04/01/2005): 2005 : l’année de la grande transition européenne (pdf à télécharger)