Ce genre de titre ressemble un peu à un sujet pour les étudiants en sciences politiques – légèrement déconnecté des nouvelles d’aujourd’hui. En fait, c’est tout à fait le contraire: c’est une question sous-jacente à un certain nombre de Unes récentes des médias européens et américains. Les critiques croissantes à l’encontre du président de la Banque centrale d’Italie, Antonio Fazio, qui reste dans sa position malgré les récents scandales, est un cas d' »emploi à vie ». Le débat animé aux États-Unis autour de la nomination de G.W. Bush de 50 ans, M. Roberts, en tant que futur président de la Cour suprême des États-Unis: un autre cas d' »emploi à vie ». L’interrogation croissante sur les immunités judiciaires des fonctionnaires de l’UE: un cas de «privilège à vie» cette fois-ci. Maintenant, il est clair que ce sujet est loin d’être académique. C’est au cœur du débat de rajeunir nos processus démocratiques, d’adapter l’héritage démocratique des siècles/décennies passés aux exigences de la légitimité démocratique des temps modernes.
Jetez un oeil à l’affaire italienne.
Ici, un banquier central est attaqué de toutes parts, y compris de la part de son gouvernement et de la grande majorité des communautés bancaires et financières italiennes et européennes, en raison de sa conduite anormale dans les récentes affaires de fusions concernant l’Italie. Cet homme est supposé apporter la confiance notamment dans les finances de son pays, pour le bien de ses concitoyens italiens ainsi que pour le reste de l’Europe et du monde. Il est évident que non seulement il ne peut plus incarner ces valeurs, mais qu’au contraire il porte avec lui une lourde charge de suspicion. Cependant, parce qu’il a un «emploi à vie», personne ne peut le forcer à démissionner à moins qu’une procédure très complexe et difficile ne soit conduite par son propre conseil … qu’il contrôle depuis plus d’une décennie. L’idée originale de «l’indépendance du banquier central» aboutit à l’irresponsabilité totale de cet individu. Évidemment, dans ce cas, une situation de d' »emploi à vie » va à l’encontre des principes fondamentaux des principes démocratiques. La volonté du peuple, même à une écrasante majorité, est bloquée par la volonté d’un homme (et de certains de ses amis), ignorant son devoir, s’en tenant à ses propres intérêts. Pour l’Italie, c’est une «impasse permanente».
Maintenant, jetons un coup d’œil sur le cas américain.
Ici, l‘ »emploi à vie » est en contradiction avec les exigences de la démocratie moderne d’une autre manière. En nommant un homme de 50 ans comme président de la Cour suprême des États-Unis, l’actuel président des États-Unis, G.W. Bush, veut influencer directement le tissu juridique de son pays pendant au moins 30 à 40 ans. Non seulement cela va totalement à l’encontre de l’esprit de la Constitution des États-Unis, mais cela conduira à un déni complet de la part d’une ou de deux générations futures des États-Unis du système judiciaire de leur pays. Avec cette «nomination préventive», le présent projette de régner sur l’avenir. Lorsque les Pères fondateurs de la Constitution des États-Unis ont décidé de permettre aux membres de la Cour suprême des États-Unis de rester en poste, ils ne pensaient certainement pas que ces membres, et encore moins leur président, pourraient diriger la Cour pendant trois ou quatre décennies. L’espérance de vie aux Etats-Unis à la fin du 18ème siècle était en effet plus proche de 45 qu’à 90 ans. Ce que nous voyons, c’est que la raison même derrière l’idée originale est déformée, dans ce cas-ci non pas par la personne qui occupe la position à vie, mais par la personne qui se nomme à ce poste. L’indépendance d’un juge de la Cour suprême des États-Unis doit aujourd’hui être équilibrée avec des améliorations de l’espérance de vie et des sociétés en évolution rapide. Soit la Constitution peut être modifiée pour refléter ces changements (en gardant l’idée de long terme mais en limitant le temps); ou le président des États-Unis devrait intégrer ces changements à son propre choix et éviter le risque de tels termes multiples. Sinon, nous finirons, comme en Italie par le banquier central, par un déni de démocratie, en privant les citoyens américains de demain d’avoir un contrôle sur de nombreuses questions de leur vie quotidienne qui seront gérées par des décisions du passé.
Enfin, jetons un coup d’œil aux critiques croissantes concernant l’immunité judiciaire à vie des fonctionnaires de l’UE.
Comme le cas italien, le processus requis pour remettre en question ce privilège à vie n’est pas clair et est sous contrôle des personnes qui peuvent être affectées par la levée ou non d’une telle immunité. En attendant, cela crée un nouveau groupe de citoyens qui, tout au long de leur vie, peuvent bénéficier de protections supplémentaires contre la loi. En effet, ils vivent partiellement toute leur vie en dehors de la primauté du droit. Fondamentalement, une telle situation va à l’encontre de l’une des exigences fondamentales de la démocratie: l’égalité devant la loi. Et cela augmente le sentiment parmi les citoyens qu’aujourd’hui l’UE ne fonctionne pas selon des procédures démocratiques, alimentant ainsi l’humeur des gens à s’opposer plutôt qu’à soutenir les propositions de l’UE telles que le projet de la Constitution.
Dans les trois cas, on peut voir que les positions ou les privilèges permanents sont complètement en contradiction avec les exigences actuelles en termes de légitimité démocratique. Ils ne servent pas la démocratie. Au contraire, ils le défendent en brisant deux de ses règles clés: d’une part, le besoin croissant de son adaptation en raison de l’évolution rapide des sociétés; d’un autre côté, l’ancien appel démocratique à l’égalité devant la loi, peut-être le moteur le plus puissant de tout processus démocratique. On peut donc anticiper, comme le fait Newropeans, que les «emplois et privilèges à vie» c’est fini. C’est juste une question de temps!
Franck Biancheri, 15.09.2005