« La réflexion sur l’avenir n’a de sens que si elle est permet de mieux réfléchir sur le présent et les tendances qui le façonnent »
(FB - 1998)
« Les forces anti-démocratiques et xénophobes de l’Europe ont toujours été attirées par le rêve d’unité européenne, la mystique de la Rome impériale »
(FB - 1998)
" Etre citoyen est un acte bénévole "
(FB - 2009)

Israël: Echanger un Mur inefficace contre la fin d’une guerre inutile – Franck Biancheri (10 octobre 2004)

En ce jour de mémoire, où nous nous rappelons du décès trop tôt arrivé de Franck Biancheri, nous republions un article écrit en octobre 2004, au lendemain de l’attentat de Taba du 7 octobre 2004 et de la construction du Mur d’Ariel Sharon. Cet article anticipe sur les nouvelles formes d’attentats, voie du martyr, espace international, et aérien (cf chronologie wikipedia), anticipant ainsi à 20 ans l’opération Déluge d’al-Aqsa le 7 octobre 2023 et les plusieurs milliers de roquettes lancés par le Hamas sur Israël par dessus le mur:

Le Mur ne protège de rien sauf à construire également un Toit (pour éviter les roquettes), et à ne plus sortir de ce qui devient en fait une Prison. Désormais, les attaques terroristes palestiniennes (et/ou d’autres groupes arabes ou musulmans) contre Israël se feront à l’étranger …/… les attaques passeront de plus en plus souvent par les airs (roquettes, missiles) …/… loin de diminuer la volonté des terroristes de s’engager sur la voie du martyr…

◊ Echanger un Mur inefficace contre la fin d’une guerre inutile – Franck Biancheri (10 octobre 2004)

 

L’attentat de Taba vient de le démontrer dans toute son horreur : le mur que construit actuellement Ariel Sharon ne peut pas être efficace à moins que les citoyens d’Israël acceptent de ne plus jamais sortir de leur pays. Les attentats contre la population israélienne se poursuivront car la politique de Sharon ne règle aucun problème.

 

Elle essaye de faire croire aux électeurs israéliens qu’on peut se cacher de l’Histoire et de ses conséquences. Etrange message pour un peuple qui a tant souffert à travers les âges et qui sait que même l’innocence ne protège pas des désordres de l’Histoire.

 

Le Mur ne protège de rien sauf à construire également un Toit (pour éviter les roquettes), et à ne plus sortir de ce qui devient en fait une Prison. Désormais, les attaques terroristes palestiniennes (et/ou d’autres groupes arabes ou musulmans) contre Israël se feront à l’étranger. Que ce soit dans l’environnement proche (comme l’Egypte ou la Jordanie), ou bien plus lointain (Europe, Afrique, Asie, Amériques). Ils seront bien entendu condamnés par tous les pays concernés mais simultanément rendront moins bienvenus les touristes israéliens, car ces derniers seront suspects d’être « porteurs de risque d’attentats ». Le Mur mène donc à la réclusion ou bien à l’ostracisme. Quel fin stratège ce Sharon.

 

Par ailleurs, comme il n’y aura pas de Toit, les attaques passeront de plus en plus souvent par les airs (roquettes, missiles), conduisant la guérilla urbaine palestinienne sur la voie d’une guerre plus sophistiquée. Et surtout, loin de diminuer la volonté des terroristes de s’engager sur la voie du martyr, elle accroîtra leurs rangs et statistiquement ne pourra pas éviter de nouveaux attentats-‐suicides sur le territoire israélien. Voilà le Mur d’Ariel Sharon.

 

Un Mur comme tous les Murs dans l’Histoire de l’Humanité, dont les pierres finissent toujours par retomber sur ceux qui croient à la force de sa protection. De la Grande Muraille de Chine au Mur d’Hadrien en passant par le mur de Berlin ou la Ligne Maginot, aucune de ces constructions n’a réussi à empêcher le succès de ceux qui se trouvaient de l’autre côté du Mur. Comme l’histoire des châteaux‐forts l’a démontré en Europe. La Muraille protège un temps puis très vite on invente les armes qui la rendent caduque. Au rythme où va l’Histoire aujourd’hui, c’est une question d’années, pas de décennie.

 

Evidemment absente du débat présidentiel aux Etats-‐Unis, la question du Mur et de la politique d’affrontement délibéré d’Ariel Sharon sera sans aucun doute l’une des principales pommes de discorde entre Européens et Américains pour les quatre années à venir (que ce soit Kerry ou Bush le futur président). Et en la matière les Européens sont très soudés. Et cette question va vite se trouver en tête des priorités de l’agenda transatlantique dans la perspective du sommet sur l’Irak prévu fin Novembre. Si les Etats-‐Unis veulent un engagement européen sur l’Irak (en particulier de nouvelles troupes européennes, notamment françaises et allemandes), il leur faudra créer la surprise, une très grande surprise. La seule que l’on puisse imaginer aujourd’hui pour débloquer l’impasse irakienne, et déclencher donc l’arrivée de troupes européennes et arabes en Irak, c’est tout simplement l’annonce par les Etats-‐Unis qu’ils renoncent à soutenir la politique d’Ariel Sharon (dont le démantèlement du Mur demandé par la communauté internationale) et qu’ils relancent effectivement le processus de paix en réouvrant les négociations directes Israël/Palestine. Il va s’agir d’échanger un Mur inefficace contre la fin d’une guerre inutile (comme l’a encore montré la semaine dernière le rapport Dueffler). Dans cette logique, Européens et Arabes accepteront très vite le renouvellement des interlocuteurs côté palestinien (le meilleur d’entre eux, Barghouti étant dans une prison israélienne, le processus pourrait être rapide).

 

Bien entendu, la plupart des observateurs diront « Impossible. Jamais Washington n’effectuera un tel tournant à ce stade ». Peut-‐être. Mais dans ce cas, Washington doit savoir qu’il lui faudra continuer à assumer seul (ou presque) le poids de la guerre en Irak, l’escalade sans fin du conflit israélo-‐palestinien et la poursuite de sa descente aux enfers en terme de popularité dans le reste du monde (Europe comprise).

 

Ce sera pour beaucoup le vrai test du changement si Kerry est élu. Pour Bush pas d’illusion, il l’a d’ailleurs répété lors du dernier débat : il n’est pas homme à agir pour faire plaisir à « certains en Europe ». Heureusement, l’espoir est permis. Au vu des sondages, il semblerait qu’il y ait un nombre croissant d’ « Européens » dans son propre pays.

 

Franck Biancheri
(10 octobre 2004)