En mars 2004, Poutine avait été réélu président de la Russie pour un second mandat de 4 ans. En septembre 2004, après la tragédie de Beslan (du 1er au 3 septembre, un massacre d’otages à Beslan, en Russie, qui s’est achevé avec la mort d’au moins 334 personnes, dont 186 enfants) et au nom de la lutte contre le terrorisme, Poutine a annoncé des réformes institutionnelles radicales, parmi lesquelles la nomination par le Kremlin des gouverneurs régionaux, qui étaient jusque là élus au suffrage universel (Libération, 27/09/2004). Franck Biancheri n’a pu s’empêcher, comme toujours, d’enregistrer les concordances des tendances des ruptures de la démocratisation. La Russie, bien sûr, mais les États-Unis et l’Europe sont également concernés par les dénis de démocratie, et sont donc très difficiles à donner des leçons au monde. En 2004, bien sûr (invasion de l’Irak 2003, attentats terroristes au Moyen-Orient, attentats à la bombe de Madrid de mars 2004…), mais toujours aujourd’hui. Ceci est le 4ème billet de la série Petits commentaires politiques d’un Euro-Citoyen. (la Rédaction, 05/06/2019)
Petits commentaires politiques d’un euro-citoyen (4)
Franck Biancheri, septembre 2004
En effet, une fois que Poutine et ses amis du FSB (Service fédéral de sécurité) auront nommé tous les gouverneurs et auront le plein contrôle de la candidature des politiciens pour la Douma, il n’y aura plus de terrorisme en Russie. Ou, du moins, il n’y aura plus de démocratie (ou très peu) en Russie, ce qui signifie qu’il n’y aura plus personne pour parler du terrorisme ou pour s’en plaindre, ce qui, selon Poutine, est presque la même chose.
Alors que l’invasion de l’Irak est aujourd’hui devenue l’Opération Chaos en Irak et qu’une nouvelle génération de terroristes (plus jeunes, moins faciles à identifier et beaucoup plus nombreux) est prête à prendre d’assaut le monde (y compris les Etats-Unis) avec des attaques plus sanglantes, G.W. Bush doit trouver un moyen pour empêcher que le citoyen américain moyen apprenne lui aussi les mauvaises nouvelles du monde (très certainement après novembre). Le contrôle des réseaux de médias peut s’avérer insuffisant, alors ne rejetons pas l’idée intéressante de Poutine, c’est-à-dire nommer directement les candidats au poste de gouverneur et empêcher les citoyens indépendants de se présenter aux élections du Congrès. Qui sait, si Bush ne suit pas l’exemple de Poutine, il se peut qu’un jour ses semblables aient à faire face à de bons adversaires politiques lors d’une élection…
En ce qui concerne l’Union européenne, nous ne sommes pas confrontés à ce type d’avenir démocratique inquiétant. Comment sommes-nous parvenus à atteindre cet état politique serein actuel ? Très simplement, au niveau de l’UE, les citoyens n’ont ni le droit ni les moyens d’influencer les pouvoirs. Un groupe d’élus nationaux et d’eurocrates prennent les décisions pour les 450 millions d’Européens vivant dans l’UE : aucun d’entre eux n’a jamais eu à expliquer sa position sur les questions européennes avant d’entrer en fonction. Vous voyez donc, dans l’UE, la démocratie n’est pas du tout un problème. Il n’existe tout simplement pas au niveau européen.
Prenons par exemple le fait qu’environ la moitié des États membres de l’UE demanderont à leurs citoyens s’ils sont d’accord ou non avec le projet de Constitution de l’UE. Bien sûr, l’autre moitié est très contrariée par ces dirigeants irresponsables qui ont décidé d’inclure des gens ordinaires dans le débat… oui, vous avez bien lu : les gens… ont leur mot à dire dans les affaires européennes.
Il faut admettre que ces dirigeants contrariés sont assez cohérents : ils ont toujours pensé que l’Europe était trop importante pour être laissée entre les mains des citoyens ; ils continuent à prendre des mesures et des décisions qui bouleversent une majorité croissante d’Européens (comme dans les prochains mois où la Commission et le Conseil vont donner leur « feu vert » à l’adhésion de la Turquie… et contribuer au succès du camp du « non » lors du référendum constitutionnel en France notamment). En outre, ils savent qu’ils n’auraient aucune chance d’être élus s’ils devaient montrer aux citoyens qu’ils ont effectivement une vision pour l’avenir de l’Europe. Il semble donc que les dirigeants qui ont décidé d’approuver un référendum soient très optimistes quant à leur propre capacité à convaincre leurs concitoyens, soit totalement inconscients qu’ils pourraient bien perdre le référendum.
Une autre option qui pourrait devenir de plus en plus crédible dans les mois à venir est que certains de ces dirigeants trouvent la démocratie utile lorsque les citoyens font le travail qu’ils ne peuvent pas faire eux-mêmes, par exemple rejeter un projet comme la Constitution européenne.
Mais personne ne serait aussi machiavélique en Europe de nos jours, n’est-ce pas ?
Franck Biancheri, Paris (France) – Septembre 2004