2004 sera une année charnière de la construction européenne. Tout le monde le répète en citant à juste titre l’élargissement et l’adoption éventuelle de la Constitution européenne. Mais il est fort probable que cette année marque également un tournant important dans l’histoire de la construction européenne pour une raison nettement moins glorieuse mais tout aussi déterminante pour l’avenir : la montée en puissance, à travers tout le continent, des populismes en tout genre, et en particulier d’extrême-droite, lors des élections européennes de Juin 2004. Leur succès en Juin 2004 servira de matrice au développement d’une famille politique européenne, le national européisme, caractérisé par un vision xénophobe et non démocratique de l’avenir de l’UE.
Les causes en sont multiples. Dès Novembre 1998 (à un moment où l’extrême droite était encore marginale en Europe) dans son fameux scénario « UE 2009 : Quand les petits-fils de Pétain, Franco, Hitler et Mussolini prendront le contrôle de l’Europe », Europe 2020 avait décrit le risque croissant de voir émerger un national-européisme qui prendrait d’abord la forme d’une montée simultanée des populismes, synchronisée par les élections européennes. Cette analyse avait été renforcée dès l’année 2000 par les messages répétés aux décideurs européens demandant (en vain) de repousser l’élargissement de deux ou trois années et surtout de ne pas l’effectuer avant les élections européennes de Juin 2004, pour éviter d’ajouter à la montée des extrêmes dans l’UE, le poids des mouvements populistes puissants présents dans nombre de pays candidats.
Aujourd’hui il n’est plus temps d’essayer d’éviter cette situation. Elle est là, devant nous et constituera l’une des données politiques essentielles des deux prochaines décennies. En revanche, pour pouvoir imaginer les moyens de contrer ces forces politiques montantes qui sont toutes anti-démocratiques et souvent xénophobes, il convient de bien comprendre ce qui a conduit l’UE dans cette triste situation, à savoir six problèmes clés :
- l’incapacité des partis politiques démocratiques centraux (socialistes ou conservateurs) à se doter de visions et de projets politiques européens crédibles
- la volonté des partis nationaux de garder un monopole politique sur les élections européennes (qui empêche l’émergence de forces politiques nouvelles à la taille des enjeux et donc du continent)
- l’effondrement de la crédibilité des institutions européennes qui constituent pourtant les seuls « piliers visibles » du projet européen
- l’impact de l’Euro qui a catalysé la prise de conscience des citoyens européens de l’importante politique de l’UE pour leur avenir et simultanément de l’éloignement des institutions et de la faiblesse des politiques sur ce sujet
- l’accélération des chocs liés à la construction européenn (Euro, élargissement) et l’absence de projet politique commun en matière de relations avec nos voisins et le reste du monde (dont l’immigration est un aspect important)
- et pour finir, l’inexistence politique du Parlement européen qui n’a encore jamais réussi le moindre geste d’affirmation politique et qui de facto ne constitue qu’un « faux nez » des administrations (Conseil ou Commission).
Cette situation conduira en Juin un nombre croissant d’électeurs des partis démocratiques centraux à s’abstenir, faute de projets politiques européens crédibles de la part de ces partis ; et un nombre important d’électeurs à exprimer rejet, incompréhension ou peur par des votes populistes, simplistes mais rassurants à court terme. Election au centre ; vote en croissance aux extrêmes : le résultat électoral est aisément prévisible. D’ailleurs, la France ouvrira le bal dès le Printemps avec la victoire probable de Jean-Parie Le Pen aux élections régionales Provence-Côte d’Azur. Ailleurs les Haider ou Fini, les Vlams Blok ou Parti du Progrès danois … et bien d’autres encore, venus des nouveaux Etats-Membres, que nous allons découvrir en Juin, continueront la danse.
D’ici Juin 2004, les jeux sont faits. On ne change pas les tendances lourdes d’une élection fragmentée sur 25 Etats et impliquant 450 millions de citoyens à quelques mois de sa tenue, surtout sans acteurs, idées et projets nouveaux.
En revanche, que ceux que la montée de cette tendance « national-européiste » inquiète ne se trompent pas, c’est uniquement en résolvant les six problèmes-clés identifiés précédemment qu’une alternative politique démocratique européenne crédible émergera. On ne combat pas les tendances politiques montantes par de beaux discours enflammés, ni par des injonctions morales ; on les combat avec succès par une vision, une stratégie, des projets et des résultats. Voilà ce qu’il va y avoir à construire dans les années à venir à l’échelle du continent.
Dernier point à destination de nombreux analystes qui croient que la politique est une science : l’ancrage « nationaliste » de nos extrêmes-droites ne sera pas un obstacle à l’émergence du « nationaleuropéisme ». L’électorat qui est prêt à voter aujourd’hui pour qui celui qui lui dit « La France aux Français », « L’Autriche aux Autrichiens », « La Hollande aux Hollandais », votera sans une hésitation demain pour celui ou celle qui lui dira « L’Europe aux Européens » !
Franck Biancheri, 30/01/2004
Télécharger le pdf: Elections européennes 2004 : la naissance du national-européisme
PS : Les Verts font une tentative intéressante à l’échelle européenne mais trop tardive et partielle. Leur mouvement reste marginal au niveau européen et constitue déjà un solde du passé, celui des années 60/70.